L’Enfant dans la famille – Maria Montessori
Tout parent de jeunes enfants a entendu parlé de la méthode Montessori. On connait parfois les écoles et a minima les livres, les jeux, et autre matériel créatif à destination des enfants. Et pourtant, Maria Montessori (1870 – 1952) a fondé la première « Maison des enfants » à Rome en 1907. Autant dire que l’on pourrait s’attendre à des notions totalement dépassées. Néanmoins, vous allez le voir, avec « l’Enfant dans la famille », c’est tout le contraire qui se produit.
Mais connaissons-nous vraiment les fondements de la méthode Montessori ?
Je pensais en avoir une idée assez claire, et pourtant, la lecture de son livre L’Enfant dans la famille, qui rassemble des textes issus de conférences données en 1923, m’a littéralement révélé la profondeur de cette méthode et sa pertinence. Alors sans plus attendre, en voici le résumé à votre attention les parents positifs.
L’enfant représente la partie la plus fragile de l’humanité et ses besoins sont incompris. Nous, les adultes, ne nous sommes pas simplement trompés dans quelques détails de l’éducation ou quelques maladresses du système scolaire, nous avons fait totalement fausse route. Dans les écoles où l’on applique la méthode de Maria Montessori, on a pu observer que l’enfant se montre attentif et concentré dans son travail, parvenant à un calme et une sérénité surprenants.
De toute évidence, ces activités spontanées, venant des forces mystérieuses de la vie intérieure, avaient été étouffées et occultées par l’intervention énergique et inopportune de l’adulte, qui avait cru faire le bien de l’enfant en remplaçant l’activité enfantine par la sienne propre et forçant l’enfant à se soumettre continuellement à son initiative et à sa volonté.
Le rapport d’adulte à enfant
La relation est basée sur un rapport d’autorité de l’adulte face à l’enfant. Ce dernier est opprimé par un adulte plus fort que lui, qui dispose de lui et le contraint à s’adapter à son environnement. On exige une adaptation directe, donc violente de l’enfant au monde des adultes. Une adaptation fondée sur la soumission et l’obéissance absolue qui conduit à la négation de la personnalité de l’enfant.
Jamais esclave ne fut autant la propriété de son maître que l’enfant l’est de l’adulte.
Le nouveau né
Dans notre civilisation, nous attachons beaucoup d’importance à soulager les maux des humains. Cela se trouve particulièrement vrai dans l’accompagnement à la mort, alors même que l’issue est inéluctable. Pourtant, nous ne portons pas autant de soin à l’être le plus noble et délicat de la Création : le nouveau né. Il sera habillé, déplacé, observé. Alors que, le premier mois, il aurait besoin de la chaleur corporelle de sa mère, d’obscurité, de calme. Et il devrait être manipulé avec une extrême lenteur.
Nous ressentons la crainte inavouée que l’enfant entrave le déroulement de notre vie quotidienne et, de son côté, l’enfant reste incompris. Nous nous fixons comme premier devoir moral que l’enfant soit bien élevé. Et nous faisons de graves erreurs de compréhension sur des comportements jugés comme capricieux. A titre d’illustration, Maria Montessori met en exergue un instinct, qui se manifeste dans les deux premières années de l’enfant. Il s’agit d’un besoin de voir les choses toujours à la même place et utilisées pour l’usage auquel elles sont destinées. C’est nécessaire à la construction de son esprit et c’est même un besoin vital. Or, si l’enfant pleure parce que ce besoin n’est pas respecté, nous prenons cela pour un caprice.
Un enfant a vu du sable par terre et est en train de l’observer ; la mère aperçoit le sable éparpillé sur le sol et s’empresse de le balayer. L’enfant se met à pleurer désespérément et la mère n’en comprend pas la raison ; l’enfant prend à nouveau du sable et le place au même endroit, puis se remet à l’observer ; la mère comprend alors la raison de ses pleurs et prend cela pour un caprice.
L’adulte croit corriger un défaut qui n’en est pas un et qui de toutes façons disparaîtra de lui-même.
Un être spirituel
Un processus mystérieux d’une énergie anime le corps inerte du nouveau né. Il lui donnera l’usage de ses membres, la faculté de la parole, le pouvoir d’agir et de s’exprimer selon sa propre volonté. C’est le processus d’incarnation, un travail long et lent, une oeuvre d’art de la nature. L’enfant inerte à la naissance a tous les potentiels. Or, parce que ses muscles sont passifs, nous pensons que l’enfant est également un être passif, vide de toute vie psychique.
Face au spectacle – magnifique, mais tardif – de son épanouissement, l’adulte acquit la conviction erronée d’avoir, lui-même, animé l’enfant grâce à ses soins et à son assistance.
Croyant être le Dieu de l’enfant, l’adulte intervient de manière intempestive et donne des directives de développement jusqu’à effacer ses potentialités extrêmement fragiles. Or, l’enfant qui s’incarne est un embryon spirituel et l’adulte doit prendre conscience de cette responsabilité qu’il a de protéger et faciliter cette entreprise délicate.
Un maître d’amour
Nous n’avons pas idée à quel point, l’enfant est extrêmement sensible à ce qu’il perçoit de l’adulte et souhaite ardemment lui obéir. L’enfant aime énormément l’adulte. Il est impressionnable et, pour lui, l’obéissance, c’est la vie.
Par conséquent, face à un caprice, […], nous devons nous dire qu’il doit s’agir d’un acte vital et d’une défense qui lui est indispensable.
A son coucher, l’enfant veut toujours quelqu’un qui l’aime auprès de lui. Or, « pour ne pas qu’il prenne une mauvaise habitude », nous refusons, de crainte qu’il ne rende tout le monde esclave de son amour ! Dès son réveil, l’enfant traverse les pièces sombres pour rejoindre ses parents et les embrasser. Nous reprenons l’enfant et lui demandons qu’il ne nous réveille pas. Pourtant, quand cela nous arrivera-t-il à nouveau dans la vie que quelqu’un, dès son réveil, coure vers nous surmontant toutes sortes d’obstacles, […], seulement pour nous voir et nous embrasser ?
Cet être nouveau nous réveille, nous invite à vivre mieux et à nous défaire de notre carapace et notre tendance à devenir insensible.
La nouvelle éducation
L’adulte ne doit pas se substituer à l’enfant. Au contraire, il doit toujours choisir de rester passif et développer sa capacité à comprendre l’enfant. En effet, des manifestations subtiles prouvent que la vie psychique de l’enfant se développe dès sa naissance. Or, l’enfant construit laborieusement et timidement et l’adulte inconscient détruit.
Cela étonnera d’entendre que le jeune enfant est un observateur très fin, capable de remarquer des choses que nous n’aurions jamais imaginé qu’il puisse observer.
A titre d’exemple, Maria Montessori cite le cas d’un bébé de quatre semaines qui n’a encore jamais quitté la maison et qui n’a vu que deux hommes, son père et son oncle, toujours séparément. Un jour, il les voit ensemble et affiche sa stupeur. Le père et l’oncle restent immobiles pour qu’il puisse les observer. Ce faisant, ils lui permettent de se concentrer dans cet effort de discernement. Ensuite, ils se séparent lentement pour lui laisser le temps de comprendre qu’il s’agit de deux personnes distinctes. Ici, l’adulte éducateur aide l’enfant dans ses constructions primitives.
De la même manière, pour des enfants un peu plus grands, Maria Montessori a pu observer des pères japonais faisant preuve d’une compréhension très profonde vis à vis des enfants. Ainsi, l’un d’eux, en promenade avec son enfant de deux ans attendait patiemment lorsque celui-ci s’asseyait sur le trottoir sale ou s’amusait à passer et repasser entre ses jambes. Le père ne disait pas : « C’est plein de poussière, qu’est-ce que ce caprice ! Allons-nous en ! ». C’est un exercice d’éducateur. Le père a soumis sa personnalité dominatrice à celle de l’enfant, en respectant son activité.
En occident, contrairement à cette sagesse d’éducateur que certains peuples ont acquis et réussi à conserver, nous nous inquiétons seulement de ce que le futur adulte deviendra dans la vie sociale…
Le concept fondamental de l’éducation consiste donc à ne pas devenir un obstacle au développement de l’enfant.
De la méthode en général
Considérant l’enfant comme un adulte en devenir, nous négligeons les besoins de son âme pure et sensible et de son esprit. Nous ne voyons que les efforts et l’énergie qu’il déploie pour se défendre de nous : les pleurs, les cris, les caprices, la timidité, la désobéissance, l’esprit destructeur… Nous faisons la grave erreur de considérer que ces moyens de défense sont des traits de son caractère et nous faisons notre devoir de les éliminer avec une rigueur qui nous amène parfois jusqu’aux punitions corporelles.
Tout au contraire, ces réactions sont souvent l’indice d’un malaise moral. Or, l’âge du développement est le plus important de la vie et l’éducation de l’enfant est le problème le plus important de l’humanité.
Notre conscience [devrait être] toute entière engagée dans l’effort attentif de comprendre jusqu’aux nuances les plus délicates de l’âme enfantine et d’avoir des égards pour les petits dans nos relations avec eux.
Cessons d’empêcher les forces positives qui sont en train de germer chez l’enfant et préparons un environnement à son intention, où, autant que faire se peut, nous pourrons nous passer de le fatiguer avec notre surveillance et nos enseignements. Avec un champ d’activités adapté, le besoin d’agir impérieux de l’enfant s’exprime et l’activité s’ordonne.
Dans la « Maison des enfants », on construit des objets simples et pratiques qui favorisent le développement intellectuel de l’enfant. Les meubles sont légers et un frôlement un peu vif peut les renverser. De petits objets gracieux et fragiles en verre peuvent se casser. Les couleurs claires mettent en évidence les tâches. Ainsi, tout mouvement désordonné est donc automatiquement signalé.
Si le vase bousculé accidentellement se casse, la peine ressentie par l’enfant sera sa plus terrible punition. L’enfant sera consolé et, de lui même, il fera de grands efforts pour obtenir des gestes mesurés ; ce qui représente un apprentissage difficile.
Les objets doivent être attrayants, même pour un simple chiffon ou un balais. Ainsi, l’objet invite l’enfant à le manipuler et à apprendre son utilisation. La joie avec laquelle les enfants travaillent les pousse à faire chaque chose avec un enthousiasme presque excessif. Ce qui les motive n’est pas le résultat mais l’opportunité de mettre en valeur leurs énergies latentes et l’autonomie gagnée !
J’ai vu un jour une petite fille toute triste devant son bol de soupe chaude, sans même la goûter. On lui avait promis de la laisser mettre sur la table, puis on avait oublié. Sa déception faisait taire les besoins de son corps. Son petit cœur était encore plus exigeant que son estomac.
Et pourtant ces exercices de la vie quotidienne que les petits font avec tant de sollicitude ne sont que l’aspect le moins important de l’activité enfantine.
Maria Montessori découvrit par l’observation que les enfants étaient capables de fixer longuement leur attention sur un objet. Elle observa par exemple une petite fille de quatre ans soigneusement emboiter des cylindres, les ressortir et recommencer une quarantaine de fois. Elle était absente à ce qui l’entourait. Lorsqu’elle eut finit, elle était souriante, heureuse, reposée comme un enfant au réveil. Elle observa ce phénomène de nombreuses fois et toujours à l’issu de ce travail concentré, les enfants révélaient le meilleur de leur caractère, comme si dans leur esprit s’était ouvert une mystérieuse source cachée.
Toutes les grandes découvertes ont été réalisées grâce à une capacité de concentration totale de l’esprit et à la capacité de s’isoler du monde. Cet état de recueillement total présent chez les grands hommes et chez les enfants, n’est pas un état exceptionnel, propres aux personnes douées, mais bien une qualité de l’âme humaine qui ne demeure à l’âge adulte que chez peu de personnes. Ainsi, Maria Montessori s’employa à trouver des objets et à offrir un environnement extérieur qui facilitent la concentration.
La clé de la pédagogie se trouve dans le fait de reconnaitre les instants précieux de la concentration et de les utiliser dans l’apprentissage de la lecture, de l’écriture, des chiffres… et plus tard de l’arithmétique, des langues étrangères…
L’institutrice doit comprendre qu’elle n’a aucune influence immédiate sur la formation et la discipline de l’enfant et se focaliser sur son action indirecte, en préparant l’environnement et le matériel pédagogique à bon escient. Elle doit toujours être disponible, calme et montrer son amour et sa sollicitude.
Fin de la première partie…